þ Chasseurs et chassés ft Roy A. Blackblood

Seize heures tapantes sonnaient à ta montre et tu commençais à t'empatienter. Voilà vingts minutes que tu attendais Roy à l'entrée du cinéma abandonné, les bras croisés, et toujours pas de signe de ce misérable enchanteur des ténèbres. Tu commençais à croire qu'il s'était réellement défilé et qu'il ne viendrait pas. Allons bon, il n'allait tout de même pas te laisser la victoire, si ?

Tu levas la tête pour observer le ciel, tout de bleu clair. On distinguait déjà un croissant de lune qui se formait au loin, d'une blancheur presque transparente. Bientôt, ce serait la pleine lune. Tu baissas la tête au moment où un nuage passait devant et vit justement Roy qui s'approchait d'un pas nonchalant.

« Ce n'est pas trop tôt, tu n'as pas l'air de connaître la notion du temps. » le raillas-tu.

Il se contenta de hausser les épaules comme si de rien n'était, ce qui te fît rouler des yeux.

« Enfin bref. Venons-en à notre défi... » commenças-tu en rentrant dans le cinéma sans te préoccuper de savoir si Roy te suivais. « Le but est simple : il faut faire fuir le plus de monde possible. Tous les moyens sont permis, mais on attaque tour à tour sans bouger de notre place. Seuls nos pouvoirs peuvent nous aider. Une question ? »

Tu allas t'installer dans la salle de projections, là où tu pouvais maintenir un oeil sur toute la salle en contrebas. Les humains ne tarderaient pas à arriver à partir de maintenant. C'est en général aux premières heures du soir que les plus intrépides osent s'aventurer ici. L'instant était parfait.

Tu levas la tête pour regarder Roy qui te faisait face, à l'entrée de la salle.

« Qui de nous deux commence ? »

« A moi l'honneur puisque de toute façon, je suis le plus doué ! » fît Blackblood en rejoignant le bord de la balustrade.

Tu ne relevas pas l'excès de modestie qui dégoulinait de lui comme une fontaine et l'observa se mettre en place. Plusieurs minutes s'écoulèrent tandis que vous attendiez l'arrivée des humains. Lorsqu'enfin les premiers téméraires pointèrent le bout de leur nez, tu ne pus t'empêcher de te redresser sur le siège sur lequel tu t'étais installé pour pouvoir observer la scène dans toute son entièreté.

Ils étaient quatre garçons, à vue d’œil légèrement plus jeunes que vous. Tous riaient nerveusement pour se donner du courage, mais chacun transpirait de peur et resté volontairement collé aux autres pour ne pas se retrouver seule. La situation initiale était déjà amusante en soi, mais elle le serait bien plus lorsque vous jouerez avec eux sans qu'ils ne le sachent. Tu te sentais déjà l'âme d'un enfant sadique qui s'amusait à cramer des fourmis à l'aide d'une simple loupe et du soleil.

Roy, le président de Royco, leva la main devant lui, en direction des quatre adolescents qui prenaient plaisir à se faire des frayeurs les uns les autres. Une légère bourrasque de vent naquit tout proche de lui et grandit au fur et à mesure qu'il lui donnait force et ampleur. Lorsqu'elle fût assez grande à son goût, il la dirigea vers les sièges en contrebas en émettant un sinistre sifflement. Les fauteuils les plus mal en point se détachèrent en premier du sol et s'élevèrent au dessus des autres en tournoyant sur eux-même de manière inquiétante. Les quatre mômes furent vite encerclés par les sièges, formant une inquiétante et menaçante ronde autour d'eux. Effrayés au possible, certains criaient déjà après leur mère, recroquevillés sur le sol. Lorsque le vent disparut, les fauteuils retombèrent sur le sol un par un dans un bruit sourd de déchirure, à quelques centimètres des pauvres victimes.

Fier de son coup, Blackblood se tourna vers toi, un sourire satisfait étirant ses lèvres, alors que les adolescents décampaient de la salle en hurlant.

« J'ai hâte de voir ce que tu vas bien pouvoir faire pour me battre, Ryan ! »

Tu te contentas de sourire à ton tour avant de te mettre debout. Tu avais déjà repéré les prochains objets qui, manipulés par tes pouvoirs, feraient fuir les prochains arrivant.

« Observe juste. » dis-tu sans te départir de ton sourire.

Quelques minutes plus tard, un couple mît à son tour les pieds dans votre repère. L'homme, une allumette qui semblait trouver les lieux amusants, essayait de rassurer sa petite amie qui le suppliait de sortir vite d'ici. D'un claquement de doigt, tu fis aussitôt sauter le courant et toutes les lumières s'éteignirent brusquement, plongeant la salle dans le noir le plus total. Tu entendis la fille crier de surprise, et l'homme dire que la lumière reviendrait bientôt. Il ne croyait pas si bien dire, mais il ne s'imaginait sûrement pas qu'elle reviendrait sous cette forme.

D'un vif mouvement des doigts, tu mis en route le projecteur qui se situait au dessus de ta tête. Une pâle lumière illumina l'écran géant troué à l'autre bout de la salle. La fille poussa un autre cri, plus contenu cette fois, en se retournant pour détailler l'écran. Le fameux décompte que présentent tous les vieux films se mît en route en silence.


« Bienvenue. » dis-tu dans un micro.

Ta voix se répercuta contre les murs de la salle, aussi dénuée de profondeur que de chaleur. A la lumière du projecteur, tu vis l'homme tourner sur lui-même pour essayer de déterminer la provenance de ta voix. La fille, elle, sanglotait par terre, recroquevillée sur elle-même. D'un nouveau geste des doigts, tu éteignis le projecteur, plongeant à nouveau la salle dans le noir. A partir de cette instant, tu attendis un moment que les deux jeunes gens se reprennent. Après tout, la peur ne revient, totale, que lorsqu'on se croit en sécurité. Comme tu t'y attendais, l'homme sortit son portable pour éclairer un tant soit peu la salle. C'était le moment propice pour se servir de sa pièce maîtresse. A l'aide d'un sort de télékinésie, tu mouvas certains objets de la salle selon différentes vitesses. La rayon lumineux lancé à la va-vite sur les murs renvoya une ombre inquiétante pour chaque chose se déplaçant. Ainsi, un vieux drap prit forme humaine pour se diriger vers eux, les débris d'une vieille pellicule furent soudainement animés et se déployèrent autour du couple pour les encercler, les haut-parleurs émirent un son strident et pour couronner le tout, le squelette d'une main en plastique de posa sur l'épaule des deux jeunes gens.

Il ne leur en fallu pas plus pour qu'ils déguerpissent de la salle en hurlant de peur. Plutôt satisfait de toi-même, tu te tournas vers ton rival.

« C'est plus drôle quand on fait durer le plaisir. »

« Hum, peut-être. » répondis-tu en examinant l'appareil photo, un polaroid qui avait dû coûté une petite fortune à son propriétaire.

Tu déposas l'objet sur une table qui faisait l'angle de la pièce avant de reporter son attention sur la salle en contrebas, réfléchissant à ton prochain coup tout en surveillant l'entrée du cinéma, l'index de ta main droite négligemment posé sur ton menton, la mine songeuse. Tu réalisais que tu aimais jouer à ce jeu du chat et de la souris, alors que ta condition de Whitestone devrait te faire culpabiliser d'agir ainsi. Ce constat assombrit légèrement ton humeur, et tu secouas la tête pour ne plus y penser.

Les minutes passaient, mais il n'y avait désormais plus le moindre signe de vie dans le cinéma, hormis Roy et toi. Tu lâchas un soupire et étiras tes bras en les levant au-dessus de ta tête.

« Je ne crois pas qu'on aura d'autres visiteurs. C'est dommage, on s'amusait bien. »

Reprenant le polaroid que tu avais laissé, tu te mis en tête de l'étudier, et remarquais que le nombre de photos encore imprimables était presque à son maximum. Sautant sur cette occasion, tu levas l'appareil devant ton visage, visas le Dirarys qui était accoudé à la fenêtre qui donnait sur la salle en contrebas, et appuyas sur le bouton. Le flash illumina un instant la pièce avant de disparaître, et le polaroid recracha le papier glacé, encore blanc.

« Je ne sais pas si ça vaut la peine qu'on reste là. Et si on sortait ? Il y a peut-être plus d'activité dehors. »

Tu te levas en secouant avec flegme la photo récemment prise qui commençait à afficher les premières couleurs. La silhouette de Roy se détachait du fond, comme une apparition spectrale.

« Tiens. » fis-tu en fourrant le cliché dans les mains de ton rival. « Je suis sûr que tu la colleras quelque part sur son miroir pour t'admirer quand tu te rases, le matin. »

Puis tu te glissas en dehors de la pièce, près à rejoindre la sortie, espérant à demi qu'il restait quelques humains à tourmenter.

Tu lâchas un léger soupir qui fit s’envoler un petit nuage de brume, le choc entre la douce chaleur de l’intérieur contrastant avec la fraîcheur de la nuit. Tu n’avais pas réalisé que la nuit était aussi vite tombée. Quelle heure pouvait-il bien être maintenant ? Neuf heures ? Dix heures ? Tu ne pris pas la peine de vérifier l’avancement de la soirée sur ta montre. Ca ne changeait pas grand-chose après tout.

Tout comme Roy, tu avais entendu les rumeurs humaines se propager entre les arbres, plus loin dans la forêt. Un groupe de jeunes adolescents sûrement. Il en faudrait peu pour les faire décamper. Néanmoins, tu réfléchis tout de même au meilleur moyen de parvenir à tes fins. Depuis que tu t’adonnais à ce petit jeu avec Roy, tu avais remarqué que les groupes sont souvent ceux qui paniquent le plus vite. La peur est contagieuse…

T’enfonçant parmi les arbres sans vérifier que Roy te suivait -il faisait ce qu’il voulait de sa vie après tout-, tu t’approchas sans un bruit du petit groupe. Trois garçons accompagnés de deux filles. Dans la pénombre, tu leur donnais la quinzaine. Ils s’étaient installés autour d’un feu de camp et faisaient fondre des marshmallows sur des pics en bois. Un peu à l’écart, deux tentes. Tu en conclus qu’ils étaient là pour passer la nuit à la belle étoile.

« J’ai une légende à vous raconter ! s’écria l’un d’entre eux.
- Encore une histoire de fantômes ?
- On ne va pas réussi à dormir, se plaignit une des filles en resserrant son plaid sur ses épaules.
- Froussarde ! »

Les quatre autres rirent de bon cœur et la légende fut racontée. T’adossant à un arbre, tu les observas un moment sans rien faire, contemplant leur innocence comme si c’était un fragile bijou, menaçant de se briser à la moindre fissure.

Que pouvais-tu bien faire pour eux ? Ils avaient quelques lampes torche, leurs téléphones. A côté de ça, rien qui ne fonctionnait à l’électricité. Mais cela devait suffire. Une simple commande, et leurs lampes torches s’éteignirent toutes en même temps. Les cinq se turent précipitamment et se regardèrent dans les yeux, jaugeant la bizarrerie de la situation. Leur feu commençait à mourir, et un sort basique qui provoqua un violent coup de vent l’acheva, plongeant leur camp dans le noir.

«  J’ai peur, fit l’un d’entre eux dans une plainte étouffée.
- Sortez vos portables ! »

Tous s’exécutèrent rapidement, et la lumières blafardes des écrans et des flashs illumina à nouveau le groupe, rendant leurs silhouettes presque fantomatiques.

« Pas si vite, mes mignons. » murmuras-tu en commençant à jouer avec le système électrique de chaque appareil.

C’était tellement simple d’influer sur les courants électriques quand la foudre était ta spécialité. L’un des portables s’éteignit sans préavis, un autre lança une musique contenu de sa mémoire, un troisième lança toutes les applications en même temps, causant un gèle du système. Les appareils électroniques sont si fragiles…

Lorsque tous eurent rendu l’âme, tu sentis la myriade de sentiments contradictoires qui envahirent les adolescents, allant de l’amusement à la panique pure et dure. c’était suffisant. Te détournant de ton poste d’observation, avec une intention toute calculée, tu marchas bruyamment sur une branche morte, dont le craquement suspect suffit à faire crier les deux filles, suivit de près par les garçons.

Tu t’éloignas alors de la scène, allant retrouver Roy qui s’était posté non loin de là.

« Trop simple. »

« J’aurai pu en faire autant, ne t’enflamme pas trop. »

Tu osas adresser un sourire en coin ainsi qu’un haussement de sourcil moqueur à Roy. Bien sûr que tu aurais pu en faire autant, mais le spectacle n’aurait pas été le même. Tu ne dis rien et te contentas de hausser les épaules. Il pourrait prouver sa force bien assez tôt. Mais encore fallait-il trouver les prochaines victimes. Vu l’heure plus qu’avancée de la soirée ainsi que le lieu, il serait à présent compliqué de trouver la moindre personne.

Cependant, un soudain craquement attira votre attention. Tu tournas brusquement la tête, assez vite pour voir une onde de choc percuter Roy de plein fouet et le gamin qui avait jeté le sort s’enfuir en courant. Un de ceux que tu venais d’effrayer. Ils avaient dû te suivre et avaient eu l’envie de te rendre la monnaie de ta pièce. Malheureusement, ou heureusement pour toi, le gosse ne savait pas encore maîtriser l’art de la visée et avait fait de Roy sa victime au lieu de toi.

Tu portas à nouveau le regard sur le Dirarys et constatas qu’il allait apparemment bien, vérifiant que tout était en ordre chez lui. La surprise de l’attaque estompée, tu te mis à pouffer d’un rire mi-nerveux mi-amusé. Tu t’attiras un mauvais regard de la victime qui ouvrit la bouche pour te lancer une remarque bien sentie… sans qu’aucun son n’en sorte. La surprise qui prit à nouveau l’enchanteur te fit rire de plus belle.

« Mon pauvre, te voilà bien arrangé, te moquas-tu en te tenant le buste pour contenir ton hilarité. Ce gosse a de l’avenir. Son pouvoir parait bien faible en apparence, mais il peut se révéler utile quand il s’agit de faire taire les plus chiants. Dommage que je ne connaisse pas de sort pour te tirer de là. Tu devras attendre que les effets s’estompent. »

Tu lui adressas un regard entendu, la malice faisant pétiller tes yeux sombres. Tu soufflas et pris une grande inspiration pour calmer ton rire et te redressas. Au dessus de toi, un nuage cacha la lune, empêchant sa pâle clarté d’atteindre la forêt. Tu levas la tête et fronças légèrement les sourcils, constatant que le ciel se couvrait.

« Il va y avoir de l’orage, on devrait pas rester dans le coin. »

Comme un paratonnerre, tu sentais l’énergie dégagée par la différence de température encore le sol et le ciel. L’électricité statique commençait déjà à démanger tes mains et tes bras, attirée par ton propre pouvoir. Il suffisait d’un haussement de sourcils, une pensée malencontreuse pour faire de cette forêt un brasier ardent. Tu le savais, et l’idée te faisait frémir. Un mélange entre crainte et excitation. Mais ce n’était pas vraiment le moment de faire brûler le coin. Tu fis signe à Roy de te suivre et tu te mis rapidement en route, cherchant à sortir de là le plus rapidement possible.

Sur le chemin, les filets d’électricité qui te courraient autour commençaient à te rendre nerveux, si bien que tu pressas encore plus le pas. Un geste qui, par chance, te permit d’éviter l’onde de choc avec laquelle on te visait, qui frôla ton dos. Tu te stoppas net et dirigeas automatiquement ton regard vers la provenance du sort et découvris, accroupi derrière un buisson, le même garçon que quelques minutes plus tôt, accompagné du reste du groupe. Ils ont l’esprit vengeur. Ils n’ont pas bien choisi leur moment par contre.

Tu n’étais plus d’humeur à la plaisanterie, et l’électricité qui brûlait déjà les feuilles et branches autour de toi aurait dû être un indice suffisant pour les inciter à ne pas aller plus loin. Cependant, ils semblaient bien trop téméraires pour saisir l’avertissement. D’autres sorts suivirent celui qui t’avait manqué de peu, que tu te contentas d’éviter ou contrer. Ils commençaient réellement à te courir sur le haricot.

« Ca suffit ! »

L’excès de colère qui monta en toi aurait pu être contenu si le climat avait été plus propice à l’annihilation de tes pouvoirs. Nonobstant, le tension contenue dans l’air et en toi était trop forte pour retenir les étincelles qui ne demandaient à enflammer la mèche. Ainsi, sans que tu ne puisses le retenir, de multiples décharges s’échappèrent pour frapper les arbres environnant dans un grondement assourdissant. Presque aussitôt, tu vis le groupe déguerpir en criant, te laissant dans un cercle de bois enflammé.

L’odeur de cramé baissa légèrement ta colère et tu poussas un soupir, peu désireux de remettre ton self-control à l’épreuve. Une goutte d’eau frappa ton front et tu levas lentement la tête, remarquant que le ciel étaient maintenant couvert de nuages et qu’il pleuvait.

« Hey, je crois que j’ai définitivement fait peur aux morveux. Ils ne reviendront pas. Ca fait combien du coup ? Trois à quatre pour moi ? Fais pas la tête, t’auras d’autres occasions de te rattra-... »

La fin de ta phrase mourut dans ta gorge lorsque tu baissas la tête pour regarder Roy, croyant qu’il s’était contenté d’observer votre bataille. Cependant, tu ne t’attendais pas à découvrir son corps affalé contre un arbre frappé par la foudre -ta foudre, inconscient.